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Je joue avec les lettres, avec les mots. Bienvenue dans mon univers !

Sur les lignes de l'amer

Sur les lignes de l'amer

Vague et ombrageux, le ciel ne me disait rien qui vaille en ce début de printemps.

Le navire hoquetait ostensiblement sur le fleuve, un de ces navires qui n'a plus d'âge, malmené par les embruns, bousculé par les vent d'ouest.

Vague à l'âme, vague à larmes, à la recherche de repère visuels, en compagnie de tout mon équipage sur le « Ouessant », magistral rouge terni par des années de labeur.

Ma barbe blanche aussi jaunie par ces moments de grâce, ces instants de défiance, les poings serrés, les larmes aux yeux, la cinquantaine avancée.

J'ai preque l'âge de mon cargo, la rouille m'a endurci les membres et obscurci ma peine. Je le respecte ce vieux gréement, ce vieil ami de métal.

Des années durant parmi les flots salés ou doux, parmi les instants fragiles d'une vie démesurée.

Le silence de l'air se faisait étrangement ressentir, nuée d'étourneaux silencieuse, le vol gracieux des hérons cendrés, le vent bienveillant en ce matin frais.

Je ne sais même plus la date du jour, je suis en bonne compagnie au fil de l'eau et peu m'importe, je vogue et c'est là la plus important.

J'ai découvert le Rhin, le Rhône, la Volga et tant d'autres, je me dirige dorénavant vers mon avenir, mon destin est entre mes pages, au cœur de mon âme.

J'ai la barbe d'un capitaine au long cours, un vieux briscard que l'on croise souvent dans les bistrots, au bras d'une belle, payante ou gratuite, amour d'un jour, de passage. Je suis de ces êtres qui d'un claquement de doigts deviennent autres. J'ai la barbe de ceux qui ont vécu des kilomètres et des kilomètres de vie, des courses à n'en plus finir. J'ai la joie de me reposer dorénavant au volant de ce monstre aquatique.

Le vent me rase cette barbe d'homme des mers, des fleuves et des rivières, nous sommes à cents lieux de notre destination finale. Tous les hommes de bord, prêts pour l'acheminement, prêts à en découdre.

Fier comme « Artaban »pourrais je dire ainsi, souriant à la vie, la cinquantaine resplendissante.

Je ne me souviens guère de mon enfance sinon de parents qui de l'amour, n'en avaient jamais entendu parlé. J'ai attendu tant bien que mal un signe de leur part mais qu'importe.

De cinq, douze ou même trente années écoulées, de ses moments oubliés à jamais, je n'ose plus y penser, reste la route, le chemin à prendre pour capter ses idéaux.

Il est maginfique ce bâteau, rouillé par endroits, lui aussi à vécu, libre de ses mouvements au grè du courant; le Danuble Bleu est à mes pieds, souriant et calme.

Nous avions fait des miles et des miles pour en arriver là, elle me tendait les bras, ce serait peut-être ma dernière étape qui sait ?

Il est mon âme, le cheminement de mon être, mon aventure.

Presque vingt cinq années de complicité, des amis de toujours partageant les bourrasques et les tempêtes, les amertumes et les déceptions.

J'aperçois au loin à l'avant mon fidèle acolyte, Paco, la soixantaine rayonnante, la barbe fleuri, la boucle d'oreille du flibustier et son regard perçant.

Edwin, que j'appelle mon petit mousse, toujours de bonne intention, de bonne figure. Il avait quatorze ans lorsque par un beau matin de printemps de 1955, il décida de me rejoindre malgré ses parents et depuis lors, m'accompagne sur tous les espaces que nous traversons.

J'ai presque l'âge de mon cargo, rouillé de partout par ces années de traversées, ces moments de grâce ou de disgrâce.

Je suis rouillé et ridé par ces voyages aux longs courts.

Je suis un chemin tout tracé depuis ce passé glorifié, ces aventures d'un autre temps. J'ai presque envie d'écrire pages après page les bonheurs et les malheurs d'une vie d'errance, une vie de partage.

J' ai presque l'âge de ce cargo, la rouille se disperse sur ma peau de vieux corsaire, mes amis me voient ainsi, les yeux hagards sous le vent salée, la peau ternie, les os fragilisés.

Je ne sais plus combien ils sont, dix, quinze ou trente peut-être. Leurs noms m'échappent, les visages s'effacent, ils ne sont plus que des os fragilisés eux aussi.

Sur les lignes de l'amer, je rejoindrais mes plus illustres aînés, les flibustiers, corsaires et autres malmenés par la mer, les navigateurs d'outre tombe, les navires échoués.

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